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samedi 11 février 2017

Jeu, culture et Divertissement

Le Divertissement est souvent perçu comme une activité amusante et innovante, alors que la Culture serait une activité ennuyeuse et formaliste. Cette distinction est-elle pertinente ? Le jeu est-il seulement un produit de divertissement ? La culture peut-elle être amusante ? Divertissement et culture sont-ils complémentaires ou entrent-ils forcément en compétition ? Je vais tenter de répondre à ces questions à travers l'exemple du jeu.

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Avertissement : Cet article n'est pas un article scientifique, malgré tout le soin que j'apporte à sa rédaction. Son seul objectif est de proposer des pistes de réflexion. Je vous invite à me faire part en commentaires des données qui pourraient corroborer ou infirmer mes hypothèses.

Table des matières

Définitions

Commençons comme à l'accoutumée par des définitions, afin que vous compreniez de quoi je parle dans la suite de l'article.

Divertissement

Selon Wikipedia : activité qui permet aux hommes d'occuper leur temps libre en s'amusant et de se détourner ainsi de leurs préoccupations. (source)

Selon le CNRTL : Action de se divertir, ensemble des choses qui distraient, occupent agréablement le temps. (source)

Selon le philosophe Pascal : Occupation, ensemble de données qui détourne l'Homme de l'essentiel et l'éloigne des problèmes propres à sa condition. (source)

Culture

Selon l'UNESCO : Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. (source)

Selon le CNRTL :

  • Fructification des dons naturels permettant à l'homme de s'élever au-dessus de sa condition initiale et d'accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur
  • Ensemble des moyens mis en œuvre par l'homme pour augmenter ses connaissances, développer et améliorer les facultés de son esprit, notamment le jugement et le goût.
  • Travail assidu et méthodique (collectif ou individuel) qui tend à élever un être humain au-dessus de l'état de nature, à développer ses qualités, à pallier ses manques, à favoriser l'éclosion harmonieuse de sa personnalité.
(source)

Choc des définitions

Le divertissement est donc une activité qui sert à occuper le temps, à se vider l'esprit, qui détourne l'homme de ses préoccupations. Au contraire, la culture est une activité qui définit une appartenance sociale, qui comble un manque, qui permet de se réaliser et de s'améliorer par l'acquisition de compétences et de qualités.

Le divertissement est une activité par le vide, alors que la culture est une activité par l'ajout.

Différences entre culture et divertissement

Le divertissement est devenu un élément majeur de notre société. Il prend diverses formes : Télévision, jeux vidéos, jeux de société, réseaux sociaux, activités sportives... Les français passent en moyenne 3h45 par personne et par jour devant la télévision (source).

Le divertissement est populaire : il est omniprésent, il ne nécessite aucun effort, aucune compétence ni aucun apprentissage, il est souvent gratuit ou peu coûteux.

La Culture de son côté, est souvent considérée comme élitiste : elle est coûteuse, elle nécessite un effort, et bien souvent un apprentissage pour être appréciée à sa juste valeur.

Le divertissement a pour but de vider l'esprit alors que la culture a pour objectif de le remplir.

Dans la société de consommation qui est la nôtre, les entreprises l'ont bien compris : Le divertissement est moins coûteux à produire que la culture, beaucoup plus facile à vendre car plus universel. Il répond à un besoin immédiat peu exigeant qu'on satisfait donc en priorité lorsqu'est venu le moment de dépenser de l'argent.

Le divertissement détruit la culture

Notre système économique actuel est basé sur la compétivité. Il s'axe sur la satisfaction du grand nombre plutôt que sur l'enthousiasme d'une minorité, car la compétitivité passe par le volume de vente, par le nombre d'unités produites et vendues par l'entreprise. Un loisir de divertissement (par exemple : une émission de télé-réalité) sera toujours moins coûteux à produire, au prorata du nombre de spectateurs, qu'un reportage sur le patrimoine culturel. Cette recherche du grand nombre, ce lissage des attentes, permet l'augmentation des budgets publicitaires qui contribuent à leur tour à augmenter le volume de vente.

Lorsqu'un produit de divertissement utilise la publicité pour se donner une image de produit culturel, lorsque le neuromarketing (voir cette conférence) utilise les failles de notre cerveau pour nous influencer, pour nous modeler selon les attentes des grandes entreprises, il n'y a plus de place pour les véritables produits culturels, délaissés au profit de produits plus faciles, plus abordables, ou tout simplement plus disponibles sur le marché. La guerre de l'image et de la visibilité est lancée, et elle se fait l'écho d'une standardisation. Une standardisation dont les créateurs de contenu sont les grands perdants : un auteur de jeux de société touche en moyenne 3% du prix final du jeu, un auteur de romans 8 à 12%.

Le constat est : La création de contenus originaux et innovants n'a plus les moyens de se valoriser par rapport aux produits de divertissement plus standardisés : Absence de visibilité, coûts de développement supérieurs, noyautage du marché par une standardisation du système commercial.

Le divertissement est addictif

Ainsi que le disaient les romains : "Panem et circenses", du pain et des jeux. Le divertissement est devenu le nouveau palliatif moderne, le moyen de supporter sa vie à défaut de s'accomplir. Vous haïssez votre métier ? Vous y survivez grâce à vos 4 heures de divertissement hebdomadaires, plutôt que de consacrer ce temps précieux à la recherche d'un nouvel emploi. Vous êtes malheureux ? Rien ne vaut le dernier jeu à la mode plutôt qu'une séance chez le psychologue.

Chaque jour, le divertissement vous permet de vider votre esprit de tous les problèmes que vous refusez d'affronter. Vous éludez et vous oubliez. Un esprit humain ne peut cependant pas s'empêcher de se remplir, et la cause de vos problèmes n'a pas disparu après 4 heures de reportages américains sur une chaîne de la TNT. Plus vous videz votre esprit, et plus facilement il se comble de vos problèmes quotidiens. Plus facilement il se comble, et plus vous devenez accro au bien-être ressenti lorsqu'il se vide. Vous voilà drogué aux divertissements ! Ils deviennent votre seule bouée de sauvetage, mais aussi l'artisan de votre malheur : ils ne résolvent rien. Et vous stagnez !

La culture, au contraire, vous nourrit, vous fait évoluer, vous épanouit, elle renforce votre sentiment d'appartenance à un groupe ou à une société, elle vous connecte avec ceux dont vous partagez les références culturelles. En remplissant votre cerveau de bonnes choses, elle empêche les idées noires et les problèmes de s'immiscer dans votre cerveau : il n'y a tout simplement plus assez de place pour la déprime, et cela vous permet de relativiser, de voir les choses positivement et d'être en capacité de faire évoluer ce qui ne vous convient pas.

Certes, la culture demande un investissement supérieur au divertissement, ainsi que nous l'avons vu dans la partie précédente. Cela confirme l'adage économique : Sans investissement, pas de bénéfice !

Qu'attendez-vous pour investir ?

Le jeu : produit de divertissement !

Le jeu peut être perçu négativement, comme un produit de divertissement qui serait aliénant par nature, en déconnectant les joueurs de leur environnement et en les plongeant dans un monde virtuel et immature.

Il suffit de se plonger dans les rayons d'une grande-surface pour se convaincre du bien-fondé de ce constat : Le jeu est bel et bien un outil de divertissement. Qu'il s'agisse de jeux à gratter, de jeux vidéo "casual" en free-to-play, de jeux de société "à boire", de type "quizz" ou "apéros", les exemples ne manquent pas de jeux simples, produits en Chine à des centaines de milliers d'exemplaires, ne nécessitant strictement aucun investissement émotionnel, aucun apprentissage, aucune réflexion. Ces jeux se vendent à grands coups de marketing et de publicité. Ils répondent à un unique besoin, un unique objectif : s'amuser, se vider la tête sans "prise de tête". Ou pire, ils correspondent à un acte compulsif d'achat, produits à courte durée de vie, bien vite remisés au placard.

La particularité du jeu est qu'il est souvent acheté pour quelqu'un d'autre, enfants, petits enfants ou amis, pour un anniversaire ou un 25 décembre. L'acheteur n'est alors pas connaisseur du produit ; il ne ne se renseigne pas sur la valeur culturelle, éducative, écologique ou citoyenne du produit, il ne juge pas sur la qualité du matériel. Il choisit d'après la publicité, d'après les effets de mode, d'après la beauté de l'emballage, d'après la liste de Noël de son gamin, lui-même influencé par les programmes télévisés et les cours d'école. Il est en somme le consommateur parfait : celui qui choisit en toute ignorance et subit donc au maximum l'influence du marketing. Dans un contexte de méconnaissance totale du produit, un produit de divertissement est toujours moins cher, plus simple à comprendre, plus facile d'accès, plus normé et donc privilégié par rapport à un produit culturel.

Le jeu : produit culturel ?

Le jeu prend une place de plus en plus importante dans notre vie. Dans les années 80, les adolescents se sont mis à jouer en grand nombre. Jeux vidéo, jeux de rôle, jeux de société, les supports ludiques se sont multipliés et les jeux se sont complexifiés. Cette tendance a pu être perçue négativement par la France réactionnaire : Dans le milieu des années 90, plusieurs reportages tentèrent de faire passer le jeu de rôle pour une pratique sataniste et dangereuse, faits divers, suppositions et autres recoupements douteux à l'appui. Il n'y a pas si longtemps, des reportages présentaient le jeu vidéo comme une activité qui rend asocial et violent.

Le jeu a beaucoup évolué en 40 ans. Le public a vieilli et s'est élevé socialement. Les adolescents d'hier sont devenus des chefs d'entreprise, des pères et mères de famille, des élus locaux. Tout le monde s'accorde (opinion que je ne partage pas) pour affirmer que les adolescents sont bêtes (toujours plus bêtes à chaque génération !), influençables et décadents. Il est plus difficile de s'en prendre à des adultes responsables qui continuent à jouer après 40 ans et font jouer leurs enfants. Jouer était hier une abomination ; c'est maintenant devenu la norme.

En vieillissant, le jeu a drastiquement changé. Il s'est forgé une histoire, avec son lot d'anecdotes, de souvenirs nostalgiques, de scandales et d'évènements marquants. La qualité des jeux s'est améliorée, chaque génération de créateurs s'appuyant sur les innovations précédentes pour développer des produits toujours plus performants. Le jeu s'est érigé en science, avec des colloques à l'université, en tant que pratique éducative, avec des articles scientifiques ou encore des groupes d'études universitaires. Les joueurs se sont créés une culture commune, avec son vocabulaire, ses références, ses réflexions théoriques et ses anecdotes.

Le jeu peut être culturel par sa nature même, mais aussi par la nature des sujets qu'il choisit d'aborder. Le jeu de rôle et le jeu vidéo choisissent de plus en plus de mettre en avant des enjeux sociétaux, des dilemmes moraux ou encore des connaissances historiques et scientifiques. Pour le jeu de rôle, citons les jeux des Ateliers Imaginaires ; pour le jeu vidéo, on peut penser à Papers, Please ou à Kerbal Space Program. Le jeu de société, quant à lui, est un peu à la traîne dans le choix d'intégrer un contenu dépassant des mécaniques de jeu et une ambiance globale.

Le niveau de complexité, de richesse et de diversité atteint par les jeux, les multiples lectures que permettent certains d'entre eux, en font très clairement des produits culturels qui n'ont pas à pâlir devant les oeuvres cinématographiques, littéraires et musicales.

Allier divertissement et culture dans l'approche ludique

Depuis le début de l'article, j'oppose le divertissement et la culture. Depuis le début de l'article, je clame ma haine du divertissement, un outil aliénant destiné à abrutir et asservir les masses. J'ai choisi de développer ma réflexion sous cet angle car je pense sincèrement que le divertissement est utilisé à mauvais escient dans notre société. Je pense sincèrement qu'il dessert les intérêts de ses utilisateurs.

Le divertissement n'est pas pour autant une mauvaise chose en soi. Se vider la tête, oublier ses problèmes, est nécessaire pour avoir une approche constructive. Si vous ne parvenez pas à évacuer vos soucis, il y a fort à parier que vous ne serez pas dans de bonnes dispositions pour faire quoi que ce soit d'autre. Il est important que vous puissiez relativiser, afin de consacrer votre temps à autre chose qu'à vous morfondre. Le divertissement vous amuse, il vous divertit, il vous vide la tête : il vous met en position parfaite pour recevoir. La question est : recevoir quoi ?

De la culture, pardi ! Et c'est en cela que le divertissement et la culture sont loin d'être contradictoires. Le divertissement vous met en position de recevoir ce que la culture vous propose. La culture, quant à elle, rend votre expérience unique, enrichissante, elle vous donne un sentiment de satisfaction, d'accomplissement et de fierté.

Pour conclure, je me permets de vous donner un exemple très personnel : je suis l'auteur d'un jeu de société coopératif et culturel sur l'archéologie. J'ai testé ce jeu (pas encore commercialisé) assez largement (plus de 80 testeurs) pour que j'affirme ce qui suit. Le jeu permet très clairement de s'amuser : les joueurs ont des objectifs à accomplir avant la fin du temps imparti. Le jeu s'appuie sur l'imprévu, sur la curiosité, sur la stratégie collective et sur les options tactiques pour susciter du plaisir, du divertissement chez les joueurs. Il permet également d'apprendre l'archéologie, ses méthodes, ses sites, ses périodes et ses objets, tout en incitant au calcul combinatoire. Il est la preuve que divertissement et culture peuvent se compléter harmonieusement, au prix d'une expertise multidisciplinaire, de réflexions poussées et d'un important travail de développement.

J'ose espérer que peu à peu, le jeu deviendra un produit culturel et qu'il sera reconnu à sa juste valeur. J'ose espérer que peu à peu, les jeux allieront de plus en plus le divertissement et la culture. Reste à savoir si les consommateurs seront eux aussi sensibles à cette démarche. Chers consommateurs, vos actes d'achat sont des actes militants. Vos achats définissent ce qui se vend et donc ce qu'on vous propose.

Bonus : Les jeux sérieux

J'ai donné des exemples de jeux divertissants qui ne sont pas des jeux culturels. Il existe également des jeux culturels qui sont peu ou pas divertissants. Les jeux sérieux (serious games en anglais) sont des jeux dont le but principal n'est pas le divertissement. Ces jeux peuvent servir des intérêts commerciaux (faire la publicité d'un produit) ou des intérêts éducatifs (apprendre de manière "amusante"). La plupart des jeux sérieux sont des jeux vidéos. Utiliser le jeu comme support pédagogique est une très bonne idée, car le jeu permet d'apprendre autrement, d'attirer l'attention de l'élève, de l'inciter à s'intéresser à l'apprentissage proposé.

Cependant, la plupart des jeux sérieux existants que j'ai testés se heurtent à la problématique de l'interdisciplinarité. Créer un jeu sérieux nécessite de nombreuses compétences : développement informatique, connaissances dans le domaine d'apprentissage du jeu, méthodologie pédagogique, et game-design (conception de jeux).

Dans un jeu sérieux, le game-design est souvent beaucoup moins travaillé que les trois autres aspects. Les systèmes de quizz et autres jeux de l'oie sont légions. L'une des raisons peut en être la récenteté de la discipline ludique : peu de personnes sont formées à la conception de jeux. Une autre raison est peut-être liée à l'image encore négative du jeu, ce qui tendrait à le faire considérer comme l'aspect le moins important d'un jeu sérieux. Une autre raison peut être sociétale, liée à cette rupture entre culture et divertissement, qui tendrait à faire croire qu'ajouter du divertissement impose de retirer du culturel. Une dernière raison, enfin, peut être simplement liée à une question de temps de développement : créer des mécaniques de jeu amusantes prend plus de temps que de laisser l'aspect ludique du jeu au second plan. Et le temps, c'est de l'argent.

Je m'intéresse beaucoup aux jeux sérieux et ils mériteraient un article à part entière. Je pense qu'il est possible de renforcer l'aspect ludique d'un jeu sérieux sans pour autant nuire à son aspect pédagogique. Je pense que, comme les jeux traditionnels qui ont beaucoup évolué en 40 ans, les jeux sérieux seront amenés à développer de nouvelles méthodes pour équilibrer les aspects ludique/divertissant et éducatif/culturel.

Les images de l'article sont issues du domaine public et proviennent du site Pixabay

jeudi 27 octobre 2016

Le travail

Le travail a été à l'honneur dans les médias avec la loi Travail en France. Cela m'a donné l'envie d'écrire un article sur le sujet. Cet article se veut un outil de réflexion personnelle, que je partage humblement avec ceux que le sujet intéresse. Je ne suis pas sociologue et je n'ai pas lu les nombreux livres de sociologie sur le travail.

Note : Vous pouvez télécharger cet article au format PDF pour un meilleur confort de lecture.

Le travail vient du latin Trepalium, qui était un instrument de torture. Je ne m'attarderai pas sur les raisons de cette étymologie... La définition que j'utiliserai est celle-ci : Un travail est le fait d'utiliser du temps dans le but de répondre à un besoin. L'exemple de travail que nous connaissons le mieux est celui du salariat : nous échangeons notre temps et notre force de travail contre un salaire, ce salaire nous permet de répondre à nos besoins (besoins primaires comme la nourriture mais aussi besoins secondaires comme les loisirs).

Table des matières

Préhistoire du Travail

Pendant le Paléolithique, le travail consiste à répondre à un besoin primaire. Il se fait de manière directe, sans intermédiaires : si l'individu a faim, il consacre du temps à obtenir de la nourriture : il cueille des fruits, il chasse, il pêche. Si l'individu a froid, il accumule du bois en vue de faire un feu. Une fois que les besoins primaires sont assouvis, l'individu peut consacrer le reste de son temps à des activités qui ne sont pas du travail : créer du lien social, vénérer les dieux, réaliser des oeuvres artistiques, faire la fête... L'individu travaille le minimum possible et produit uniquement ce dont il a besoin ou envie.

Au Néolithique, entre 12.000 et 9.000 avant notre ère, l'humanité découvre l'agriculture, l'élevage et la céramique. Avec l'amélioration des techniques d'agriculture et d'élevage, la sélection des variétés de plantes cultivées et des races d'animaux élevées, l'être humain augmente sensiblement la production de nourriture. Le temps de travail augmente également, car le rendement est exponentiel et non pas proportionnel au temps de travail consacré : produire deux fois plus ne prend qu'un peu plus de temps. On ne produit plus uniquement pour répondre à des besoins primaires, on produit pour obtenir des surplus. Puisqu'on produit plus de nourriture que nécessaire, une partie de la population n'a plus besoin de travailler aux champs. Mais pas question que le paysan donne gratuitement la nourriture qu'il a laborieusement semée, protégée et ramassée ! Une partie de la population se spécialise donc dans d'autres professions : soldat pour protéger les récoltes, chef pour gérer les conflits, prêtre pour attirer la grâce des dieux, artisan pour fabriquer des objets nécessitant une grande maîtrise technique, mère pour élever plus d'enfants qu'on peut désormais nourrir... C'est la naissance des métiers, ainsi que la naissance du travail tel qu'on le conçoit aujourd'hui.

Au Néolithique, l'individu ne travaille plus seulement pour lui-même, pour répondre à ses besoins primaires. Il travaille pour fabriquer des objets ou des services, il échange ces objets ou ces services contre d'autres objets ou services produits par d'autres individus, afin de satisfaire tous ses besoins.

Le chasseur-cueilleur paléolithique était partie intégrante de la nature, un animal parmi d'autres. L'agriculteur néolithique est maître de la terre, des animaux et des végétaux, il dompte la nature et la transforme selon son bon vouloir. Le Paléolithique produisait seulement ce dont il avait besoin, le Néolithique produit autant qu'il le peut. Le Paléolithique gagnait sa place dans la société par les dons qu'il faisait à ses camarades, symboles de sa richesse et de sa grandeur d'âme. Le Néolithique gagne sa place dans la société par ce qu'il possède, qu'il l'ait produit ou qu'il l'ait pris à autrui. Le besoin de produire des surplus va de pair avec le besoin de posséder : pourquoi produire si l'on n'a pas intérêt à le faire, si le fait de posséder n'a pas d'importance ?

La possession devient le moteur des nouvelles sociétés Néolithiques : tout ce qui permet de produire des surplus est gage d'une élévation dans la société. On possède la terre, on possède ce qu'elle produit. Bientôt, on possède également les hommes, ceux qui n'ont pas de terre et que l'on fait travailler en échange d'une partie du fruit de leur travail, ceux à qui on prend les terres ou le travail par la force. Les familles sont maintenant dominées par des chefs de tribu, et leur protection - forcée - a un coût. Ces chefs de tribu passent eux-mêmes sous la houlette de chefs de clan, qui sont eux-mêmes soumis par les rois de vastes royaumes. C'est le début de la hiérarchisation de la société.

Le travail n'appartient plus seulement à qui le produit, il est partagé en plusieurs parties et seule une de ces parties appartient au travailleur. Il est désormais nécessaire de quantifier le travail de manière plus durable que le troc, afin que chaque partie soit, sinon distribuée de manière équitable, au moins de manière cohérente. Les premiers systèmes monétaires apparaissent, avec des objets dont la valeur connue de tous permet de servir de monnaie d'échange : "- Je t'achète ton sac de lentilles en échange de 3 coquillages. - Non pas question, 3 coquillages c'est la valeur d'un sac de blé, les lentilles c'est au moins 4 coquillages !" Peu à peu, ces objets de valeur connue deviennent les premières pièces de monnaie, c'est-à-dire des objets qui sont fabriqués spécialement pour quantifier la valeur des autres objets.

Le marché est né : la rencontre de l'offre (le vendeur) et de la demande (l'acheteur) qui se retrouvent et s'accordent sur le prix des denrées. Le travail a désormais une valeur, quantifiable en théorie, qui varie selon divers critères. Le travail a également un prix, celui auquel le travail est acheté et vendu, qui peut être ou non représentatif de sa valeur réelle.

Le travail aux XIXe et XXe siècle

Aux XIXe et XXe siècle, l'industrialisation amène une nouvelle révolution : grâce au travail à la chaîne, aux machines-outils, à l'amélioration technologique, la productivité augmente énormément. Cette évolution entraîne plusieurs changements :

  • Le travail se complexifie. La majeure partie de la production n'est désormais plus assurée par l'individu seul, l'individu devient un rouage d'une vaste machine de production
  • L'individu n'est pas le propriétaire de son outil de travail car l'appareil de production coûte très cher et nécessite de nombreux individus pour fonctionner
  • Le niveau de vie augmente car la production de masse permet de faire baisser le coût des denrées, ce qui permet à une plus large partie de la population d'y avoir accès. Il faut par ailleurs trouver des débouchés à cette production massive, en permettant l'achat de cette production par les classes moyennes.

Grâce au développement de la démocratie en Europe occidentale, les travailleurs gagnent de nouveaux droits aux XIXe et XXe siècles : réduction du temps de travail, droit de grève, premières semaines de congés payés en 1936, allocations chômage, 39 puis 35 heures... La hiérarchie n'est plus toute-puissante grâce à la création de contre-pouvoirs de plus en plus organisés : les syndicats. La hiérarchie peut être remise en question et le travailleur dispose de moyens de pression sur son employeur.

En 1950, les sociologues et les politologues affirmaient qu'en 2000, l'homme travaillerait 4 heures par jour en raison de l'automatisation grandissante du travail : on produirait plus avec moins de main-d'oeuvre. A partir de 1970, l'informatisation a permis d'augmenter la production en réduisant le temps de travail.

A partir des années 50, avec la mondialisation, les gros groupes industriels commencent à délocaliser leurs industries dans les pays pauvres : pourquoi payer un travailleur au SMIC français quand on peut le payer 50 fois moins en Chine ou au Vietnam ? Les années 1980 marquent la fin du plein-emploi et l'industrie française s'effondre. Presque tous les produits qu'on achète au quotidien sont fabriqués en Chine, les français travaillent majoritairement dans le commerce et la prestation de services. En 2016, 10% de la population active est au chômage, 65% de la population en âge de travailler (15-64 ans) a un emploi (source INSEE).

Le travail au XXIe siècle

Au XXIe siècle, l'économie fonctionne selon un système capitaliste. Elle est contrôlée par de grandes sociétés multinationales. Ces sociétés emploient des dizaines de milliers de personnes et elles ont donc un poids politique important. Elles sont possédées par des actionnaires qui détiennent une partie de l'entreprise. L'objectif de ces actionnaires est de gagner de l'argent grâce aux bénéfices (appelés dividendes) générés par la société dont ils sont les co-propriétaires. Comme les actionnaires ne travaillent pas dans l'entreprise, ils recrutent des personnes pour la gérer à leur place. En raison de la taille de ces multinationales, le poids de l'individu, du travailleur est négligeable. La hiérarchie surdéveloppée - parfois 10 échelons au-dessus de lui - empêche le travailleur de faire valoir son point de vue, car à aucun moment il n'a affaire à un supérieur suffisamment haut-placé dans la hiérarchie pour avoir un quelconque pouvoir décisionnel. Les individus réduits à l'état de ligne budgétaire sont déshumanisés et les exigences de profit ne tiennent plus compte de ce que vivent ou ressentent les individus. Seul compte le bénéfice réalisé par l'entreprise.

Le monde est désormais un marché ouvert : tout le monde peut acheter et vendre à tout le monde. Des organisations internationales s'assurent que les états respectent les accords internationaux qu'ils ont signés.

Dans un tel contexte, il est difficile pour un pays comme la France de mener une politique de développement des droits sociaux. La France étant liée par des accords internationaux qu'elle n'a pas les moyens de rejeter, l'économie française se retrouve en concurrence avec les économies du monde entier. Il est impossible de lutter, économiquement parlant, contre un pays comme la Chine dont les ouvriers font des semaines de 70 heures pour un salaire mensuel de 50 €. Les produits fabriqués en Chine seront toujours beaucoup moins chers que les produits fabriqués en France.

L'informatisation et l'automatisation ont supprimé beaucoup d'emplois : ordinateurs, caisses automatiques, distributeurs automatiques, usines automatisées... Ces suppressions d'emplois ont permis aux sociétés de créer plus de bénéfices en réduisant la masse salariale. La pression sur le travailleur s'est accrue : dans un monde où le travail devient une denrée rare, le rapport de force entre travailleur et employeur se déséquilibre. Le travailleur n'ose plus mettre en danger sa situation pour faire valoir ses droits, car le risque de perdre son emploi est trop important.

La France est devenue une société d'hyperconsommation dans laquelle l'individu, transformé en consommateur, est manipulé par la publicité omniprésente afin de créer chez lui de nouveaux besoins. Le marketting est devenu une science, un "neuromarketting" qui cherche les failles du cerveau pour mieux exploiter la faiblesse humaine. La publicité a permis depuis plus de 60 ans l'endoctrinement, le formatage des individus dans un modèle de consommation dont il devient difficile de se départir.

Un système social comme celui de la France est financé en partie par les taxes sur les bénéfices des sociétés. La disparition des frontières économiques permet désormais aux grosses sociétés multinationales de réaliser des montages financiers complexes et légaux qui leur permettent de ne pas payer d'impôts en France : ces sociétés à travers diverses filiales, réalisent les profits en France mais les déclarent dans d'autres pays, dans lesquels les impôts sur les bénéfices sont très faibles. C'est ainsi que des sociétés comme Amazon, Apple, Facebook, Google ou McDonald ne paient quasiment aucun impôt en France. Légalement... (Sources : Cam'intéresse, BFMbusiness, Lefigaro)

Les produits que les français achètent sont fabriqués à l'étranger. Les grosses sociétés qui vendent ces produits ne paient quasiment pas d'impôts en France, ce qui leur permet d'être plus concurrentielles que les petites sociétés qui paient leurs impôts. La France n'a pas les moyens de lutter contre ces problèmes car elle est liée par des accords internationaux. Le système social protecteur des français est alors menacé : la disparition des emplois augmente le coût de ce système, alors que l'argent disponible pour le financer diminue. Les grosses multinationales, dans un contexte économique tendu, sont à même de sécuriser encore plus leur position en pratiquant un lobbying intense auprès des décideurs politiques, sous la forme de promesses et de chantage à l'emploi.

Valeur et prix du travail

Dans une société où l'on ne produit pas tout par soi-même, la valeur du travail est quantifiée afin de permettre l'échange des biens et des services issus du travail de chacun. Cette quantification est en quelque sorte le coût ou le prix du travail, et elle peut s'opèrer en fonction de plusieurs critères :

  • Le temps consacré à la réalisation du travail : un bel objet ayant demandé 50 heures de fabrication sera plus coûteux qu'un objet simple fabriqué en 1 heure. Ce temps de réalisation peut inclure le temps nécessaire à l'extraction des matières premières : des matières premières difficiles à extraire comme le métal seront plus coûteuses que de l'argile facile à trouver et à extraire. Ce temps de réalisation correspond également à la notion de productivité : si l'on produit 3 objets en 1 heure au lieu d'en produire 2, la valeur de notre heure de travail aura augmenté (et la valeur de chaque objet produit aura diminué, étant donné qu'un objet vaudra 20 minutes de travail au lieu de 30 minutes précédemment).
  • L'expertise du travailleur : une compétence rare et demandant de nombreuses années d'expérience pour la maîtriser, augmentera le coût du travail.
  • La rareté du travail : Si un produit demandé est rare, il y aura plus de gens qui veulent acheter le fruit de ce travail (la demande) que de gens capable de vendre le fruit de ce travail (l'offre). Il faudra payer plus cher que le voisin pour obtenir le fruit de ce travail. C'est également valable pour un travail nécessitant des matières premières dont la quantité serait limitée.
  • L'accaparement du travail : Dans le cas où une personne impose sa volonté au travailleur (c'est ce qu'on appelle la hiérarchie), elle pourra faire baisser le coût du travail, en le payant à un prix moins élevé que sa valeur totale.
  • Le besoin auquel répond le travail : Plus un individu estime avoir besoin du fruit du travail, plus il est susceptible de l'acheter, et plus il sera prêt à payer cher pour l'obtenir. Les besoins primaires (manger, boire, dormir...) sont toujours assouvis en premier, les besoins secondaires (loisirs...) sont toujours assouvis en second. Le marketting, la publicité, a pour objectif de créer un sentiment de besoin afin de vous inciter à acheter prioritairement un produit dont l'intérêt réel est secondaire.

Pour survivre, le travailleur doit vendre le fruit de son travail à un prix qui lui permettra d'acheter le fruit du travail des autres, afin d'assouvir au moins ses besoins primaires, et si possible ses besoins secondaires. Le travailleur a deux solutions pour améliorer sa capacité à assouvir ses besoins :

  • Il produit plus de travail
  • Il augmente le prix auquel il vend son travail

Société de possession

Nous vivons dans une société de possession héritée du Néolithique. Posséder est la justification de toutes les inégalités ainsi qu'un frein à la notion même de démocratie. Un individu qui possède a le droit d'être inactif, de ne pas produire un travail utile à la société : c'est ce qu'on appelle un rentier. En revanche, un individu qui ne possède pas n'a pas le droit d'être inactif, il est perçu comme un parasite : c'est ce qu'on appelle un chômeur. La possession justifie cette inégalité criante de traitement entre deux personnes qui ne produisent aucun travail utile pour la société. Cette différence de traitement ne nous choque plus car elle est un héritage culturel, une prolongation du seigneur médiéval et avant cela du chef de clan Néolithique.

Cette notion de possession nous interdit de subvenir par nous-mêmes à nos besoins et nous rend dépendants d'un système social globalisé : il nous est impossible de produire notre nourriture sans posséder, car les terres appartiennent à quelqu'un. Nous ne possédons même plus l'endroit dans lequel nous dormons, et pour lequel nous sommes obligés de payer un loyer, représentant un tiers du produit de notre travail. La notion de possession nous enchaîne à l'obligation de travailler car elle nous empêche d'assouvir nos besoins en dehors d'un système social extrêmement restrictif.

Malgré ses limites, la notion de possession semble indispensable au fonctionnement d'une société moderne. Toute approche qui consisterait à se libérer de son emprise semble vouée à l'échec, le fruit d'un idéalisme naïf : la redistribution des richesses prônée par le communisme mena à l'émergence d'une nouvelle caste de possesseurs. Il s'agirait alors de lutter non pas pour la fin de la société de possession, mais plutôt pour redéfinir le cadre et les conditions de cette possession. Il s'agirait non pas de prôner la fin des inégalités, mais plutôt de les encadrer dans des limites socialement acceptables.

Travail et rentabilité

Actuellement, les indicateurs économiques servent de référence en politique, prioritairement à tous les autres indicateurs (comme les indicateurs sur le bien-être de la population, par exemple). Tout travail ne générant pas d'argent, qui ne puisse se résumer à un chiffre sur un document comptable, est donc considéré comme secondaire. En ligne de mire, les emplois publics dans l'enseignement, la santé, la recherche, et plus globalement tous les fonctionnaires et employés municipaux. De la même façon, un artiste ou une aide à la personne ne rapportent pas d'argent. Le travail doit être rentable, quantifiable par un rapport entre coût et bénéfice, car une valeur sociale (comme la santé) n'est pas quantifiable économiquement. La raison de cette dérive ? La simplification. Les sciences sociales sont un sujet complexe. Les chiffres, eux, peuvent être comparés. Ils perdent pourtant leur sens et leur valeur lorsqu'ils sont employés en dehors de tout cadre social. Derrière les économies d'un licenciement, il y a la détresse d'un être humain. Cette dernière ne peut pas être quantifiée, elle ne mérite pas pour autant d'être ignorée.

On en vient alors à ce paradoxe : dans un pays qui compte 6 millions de chômeurs, on continue à supprimer des emplois au nom de la rentabilité. Quand il ne s'agit pas d'une rentabilité interne à l'entreprise, il s'agit de la rentabilité de l'état : sa capacité à passer sous la barre des 3% de déficit public.

Le travail peut-il se résoudre à ce seul critère de la rentabilité ? Nous vivons dans un pays dans lequel des millions de personnes sont poussées à la précarité faute d'avoir un emploi. Ces personnes ne produisent pas et n'ont pas les moyens d'assurer leur subsistance. Elles sont alors dépendantes des autres pour vivre. Paradoxe : on considère qu'il est plus rentable de priver ces personnes de leur travail, tout en leur reprochant de ne pas produire. Cette dépendance est entretenue par notre système social, puisque le critère de rentabilité détruit les emplois par lesquels elles auraient pu se rendre utiles à la société. Appauvries, elles ne paient plus d'impôts sur le revenu, elles ne consomment plus et ne génèrent plus de TVA par leurs achats, les entreprises vendent moins et génèrent moins d'impôts sur les sociétés... L'état gagne donc moins d'argent, il réduit ses dépenses en supprimant des emplois publics, ce qui augmente à nouveau le chômage tout en réduisant la consommation.

Culpabilisation du chômeur

Le chômeur est souvent perçu comme un parasite social, abusant d'un état-providence à bout de souffle qu'il faudrait démanteler. Cet état-providence serait la cause de tous nos problèmes économiques, en rongeant les bénéfices des entreprises et leur capacité à investir.

Ce constat serait valable et le chômeur serait effectivement un profiteur, si et seulement si il y avait du travail pour tout le monde. On pourrait alors estimer que le chômeur profite de la situation et vit en parasite sur le dos de la société.

En 2012, il y avait 820.000 emplois vacants en France selon un rapport du Conseil d'Orientation pour l'Emploi. Au même moment, il y avait 4,4 millions de chômeurs (catégories A, B et C) (source : Le monde). La France a détruit plus d'emplois qu'elle n'en a créés entre 2012 et 2016, et la courbe commence à peine à s'inverser. On peut donc considérer que si les chômeurs ne trouvent pas d'emploi... c'est parce qu'il n'y en a pas. Peut-on alors leur reprocher de ne pas travailler ? La plupart d'entre eux ne demandent que ça : travailler pour gagner honnêtement leur vie.

Au-delà des chiffres, de ce qu'on en fait et de l'idéologie qu'ils servent, il faut se poser la question de l'utilité d'enfoncer dans le mépris et la dévalorisation 5,5 millions de personnes (chiffres du chômage en 2016). Cela servira-t-il la société ? Les chômeurs seront-ils motivés à trouver du travail avec un tel poids sur la conscience ? S'enfoncer dans la souffrance, la déprime et l'exclusion sociale n'amène personne à innover, à entreprendre et à trouver sa place dans une entreprise. La confiance en soi, la valorisation, le respect que l'on reçoit, l'aide qu'on nous apporte, voilà ce qui permet aux gens fragilisés par les aléas de la vie de se relever et de se reconstruire. Car le travail, au-delà d'être un moyen de subsistance, est l'un des piliers fondateurs par lesquels nous construisons notre existence et nos relations sociales. Il est un révélateur de notre confiance en nous, de notre bien-être et de notre bonheur. Nous en priver est un crime.

Partant du principe qu'il n'y a plus assez d'emploi pour tous, veut-on une société basée sur l'ultra-compétitivité, avec une concurrence à l'emploi que ne viendrait contrebalancer aucun système social protecteur ? Dans une telle société, 5,5 millions d'adultes (ou 4,5 millions si l'on considère qu'1 million d'emplois sont vacants) seraient abandonnés à leur sort, laissés de côté, à mourir à petit feu dans l'indignité la plus totale. Les raisons ? Leur âge, leur manque d'expérience, le fait qu'ils soient trop spécialisés, ou pas assez, qu'ils aient du mal à se remettre de la mort d'un proche, qu'ils aient fait une déprime grave, qu'ils aient eu des enfants ou qu'ils en veuillent, qu'ils s'appellent Mamadou, Fatima ou Mohammed, qu'ils soient défigurés, obèses, handicapés...

Veut-on vraiment d'une telle société ? Réfléchissez-y avant de stigmatiser qui que ce soit. Car les mots ont un pouvoir. Bien trop souvent, ils servent à détruire plutôt qu'à construire.

Petit précis (approximatif) de capitalisme

Le capitalisme est le concept économique sur lequel est fondée notre société. Son principe est l'opposition du capital et du travail. Le capital est la possession d'un stock de richesses que l'on va investir afin d'en tirer un revenu. Le travail est le fait d'exercer une tâche afin d'en tirer revenu. Ou, pour faire le parallèle avec ma définition de début d'article : le fait d'utiliser du temps afin de gagner de l'argent, argent qui permettra de répondre à ses besoins.

Le capitaliste, le possesseur du capital, est le propriétaire de l'appareil de production (l'usine...), qu'il a acheté grâce à son capital. Le capitaliste a besoin du travailleur car c'est le travailleur qui fait fonctionner l'appareil de production et qui permet au capitaliste de générer des revenus. Le travailleur a besoin du capitaliste car il n'a pas les moyens de créer son propre appareil de production. Il est impossible de fabriquer une usine par ses propres moyens, et si l'on fait appel à des employés, il faut être en capacité de payer leur travail. Le travailleur ne le peut pas, le capitaliste le peut. En centralisant les capitaux, il simplifie le processus par lequel on construit quelque chose de collectif, qui dépasse l'individu. En échange de ce service rendu, il obtient le droit de prendre une part de ce que produisent les utilisateurs de l'usine (les ouvriers), sous la forme d'un bénéfice.

Ainsi, dans cette définition, on voit que le capitaliste et le travailleur ont besoin l'un de l'autre. Cette relation d'interdépendance est la garante de l'équilibre du système, et de son équité théorique. L'argent n'étant qu'un représenté du pouvoir, de la capacité à posséder et à obtenir, la richesse du capitaliste lui donne cependant plus de pouvoir qu'au travailleur. Par ailleurs, le capitaliste peut facilement remplacer le travailleur. La réciproque n'est pas vraie, car il y a beaucoup plus de travailleurs que de capitalistes. C'est pour rééquilibrer ce rapport de forces que les syndicats sont nés : en se regroupant, les travailleurs ne sont plus négligeables car ils peuvent impacter fortement sur le travail : l'appareil de production ne fournit plus de revenus au capitaliste si les travailleurs se mettent en grève. On retrouve un rapport de forces équilibré entre le pouvoir issu de la possession, et la capacité des travailleurs à nuire à cette possession par leur inactivité.

Le problème, c'est que nous sommes entrés dans une ère d'ultra-technologie, dans laquelle l'appareil de production n'a plus besoin des travailleurs pour générer des richesses. Le taux de chômage augmente à cause des destructions d'emplois, et le rapport de forces est à nouveau déséquilibré par le chantage à l'emploi devenu possible. Ce déséquilibre est accentué par la centralisation des capitaux : les sociétés sont devenues des multinationales, l'ultra-hiérarchisation verticale empêche le travailleur de défendre son point de vue auprès d'un interlocuteur ayant un véritable pouvoir de décision. La puissance de ces sociétés leur permet d'exercer un lobbying en faveur de lois plus libérales, qui mettent en danger l'équilibre social entre capital et travail. Ce sont les fondements de nos sociétés des XXe et XXIe siècle qui vacillent... car lorsque les travailleurs précarisés n'auront plus les moyens de consommer cette surabondance de biens produits, le capital qui tire bénéfice de cette surconsommation finira lui aussi par s'effondrer.

Conclusion

Le travail est partie intégrante de ce que nous sommes. Nous nous épanouissons à travers celui-ci. Il détermine notre place dans la société. Il nous permet de satisfaire nos besoins et donc, de vivre décemment. Pourtant, il peut également être source de souffrances : nous le subissons parfois, voire souvent. Il est source de stress, parfois même de suicides. Il se déshumanise. Dans certains pays, il s'apparente à de l'esclavage, un esclavage que nous cautionnons en achetant les biens ainsi produits. Il nous déchire, car nous croyons nous sentir mieux en accusant l'autre de nous le voler, de profiter de nous. Nous nous plaignons que le nôtre n'est pas reconnu à sa juste valeur, mais nous rabaissons constamment celui du voisin.

La France crée de la richesse tous les ans (1% de croissance par an). En France, pays des droits de l'homme, l'écart entre les riches et les pauvres se creuse. Notre système social est économiquement un frein dans un marché ouvert où l'amélioration des acquis sociaux n'est pas une priorité.

Tant que le travail sera considéré seulement au travers des indicateurs économiques, la pression sur les travailleurs et les inactifs ne cessera de croître. Cette pression s'accompagnera de précarité, de souffrance et de mal-être. Il est peut-être temps de prendre également en compte les indicateurs sociaux. Il est temps de cesser de croire que quantifier le prix de la santé, de l'éducation, de la recherche, serait le bon moyen pour leur redonner de la valeur. Car le but de la vie ne semble pouvoir se résumer à l'accumulation de biens. Les biens, comme l'argent, n'étant qu'un représenté du vieux concept Néolithique de possession.