samedi 15 octobre 2016

Analogies entre jeu de rôle et jeu vidéo

Aujourd'hui il m'est venu l'envie de comparer le jeu de rôle au jeu vidéo. Cet article est une réflexion personnelle plutôt qu'un article de fond, merci de le lire dans ce sens et avec bienveillance. Je commence par quelques définitions pour expliquer quel sens que je donne aux mots dans la suite de l'article.

Monde ouvert : Un monde ouvert est un monde que le joueur peut explorer librement, sans lieux inaccessibles, sans espaces compartimentés par des temps de chargement et sans zones "couloir". En bref : sans barrières articficielles.

Bac-à-sable : Egalement appelé sandbox. Un jeu bac-à-sable est un jeu dans lequel le joueur se crée ses propres objectifs et dans lequel il n'y a pas une trame scénaristique prédéfinie ou imposée.

Par exemple : Minecraft est un monde ouvert et un sandbox. Certains jeux vidéo peuvent être en monde ouvert mais pas en sandbox, par exemple certains RPG.

Omniprésence du monde ouvert en JDR

On pourrait dire que le développement de la technologie a permis de créer en jeu vidéo ce que le JDR fait depuis des décennies. La plupart des JDR du commerce nous garantissent un monde ouvert bien documenté, à travers un univers encyclopédique détaillé dans le bouquin de JDR. La plupart des JDR du commerce sont construits comme des sandbox, puisqu'on promet aux acheteurs que le système est capable de gérer toutes les situations et de s'adapter à n'importe quel objectif de jeu. Les systèmes de jeu sont de type simulationniste, c'est-à-dire qu'ils mettent en avant leur capacité à gérer l'ensemble des situations de manière cohérente.

Dichotomie entre les jeux et les scénarios

Ces JDR que je qualifie de type bac-à-sable, fonctionnent le plus souvent avec des scénarios linéaires (voir le très bon article d'Acritarche sur les différents types de scénario). C'est-à-dire que la trame scénaristique est définie du début à la fin, par scènes qui sont des passages obligés, comme un couloir que les joueurs sont obligés d'emprunter. Parfois, ces scénarios sont un peu plus sophistiqués et proposent des embranchements, tout comme de nombreux jeux vidéo de type "action-RPG". Il revient alors au MJ (Meneur de Jeu) de pratiquer la technique de l'illusionniste, consistant à donner l'impression au joueur qu'il a le choix, alors que cette liberté est totalement illusoire.

(Illustration issue du blog Serial-ralistes)

J'ai toujours trouvé qu'il y avait une dichotomie incompréhensible, entre le jeu et son scénario dans la plupart des JDR. D'un côté, une volonté de proposer des univers extrêmement détaillés et des systèmes permettant de gérer toutes les situations. De l'autre côté, un cadre restrictif qui supprime toute forme de liberté pour les joueurs, reposant entièrement sur l'habileté du MJ pour faire illusion. Pourquoi une telle dichotomie ? Je n'ai pas la réponse. J'émets une hypothèse : le jeu est conçu comme un monde ouvert et un bac à sable pour le MJ, mais pas pour les joueurs. Monde ouvert et bac à sable sont des arguments commerciaux dans le jeu vidéo tout comme dans le jeu de rôle. C'est le MJ qui achète les jeux, c'est donc lui qu'il convient de convaincre en lui proposant un maximum de liberté. La liberté des joueurs passe au second plan parce que ce n'est pas un argument commercial. L'argument du "on a toujours fait comme ça" doit également être une des raisons.

Problématique du maillage dans le monde ouvert

Le monde ouvert est longtemps resté anecdotique en jeu vidéo ; il s'est développé en même temps que la technologie et avec l'explosion des budgets du jeu vidéo. Si l'on part du principe que le monde ouvert nécessite une plus grande technologie en jeu vidéo, on peut en déduire que cela nécessite également une plus grande technique en JDR : technique au niveau des mécaniques de jeu, mais aussi technique au niveau de la capacité du MJ à maîtriser sa partie.

Pour bien gérer sa partie de JDR, le MJ doit posséder un cadre qui lui permet de maîtriser toutes les situations possibles. C'est ce que j'appelle un maillage : chaque situation possible doit être gérable grâce au scénario, à l'univers ou au système de jeu. Plus ce maillage est fin, plus il permet de soutenir le MJ dans la gestion de la partie. Mais plus ce maillage est fin, plus il est complexe à gérer, et plus il demande au MJ un long apprentissage.

Pour l'exemple : Il est facile pour le MJ de gérer un accouchement difficile s'il y a une règle des accouchements difficiles dans le bouquin. MAIS, cela signifie que : il doit retrouver la règle dans le livre (ou avoir appris 350+ pages par coeur), il doit la lire, il doit faire faire un certain nombre de lancers de dés à ses joueurs. C'est simple, ça guide le MJ, mais c'est lourd, c'est long et ça casse le rythme de la partie.

Comme les JDR de type "monde ouvert" proposent un maillage très fin de la résolution des actions au sein d'un univers extrêmement détaillé, il devient nécessaire de simplifier ce qui peut l'être pour aider le MJ : notamment la gestion du scénario. C'est ainsi qu'au sein du scénario, les situations sont totalement cadrées. Ainsi, le MJ ne gère qu'un petit morceau de ce maillage très fin lors de chaque partie.

Résultat : un jeu élaboré comme un monde ouvert de type bac à sable est joué comme un jeu de plate-formes. J'ai toujours trouvé que c'était un épouvantable gâchis.

(Illustration issue du blog Serial-ralistes)

JDR : à quand de nouveaux horizons ?

Le jeu vidéo connaît une renaissance ces dernières années avec l'émergence de studios indépendants qui proposent des jeux innovants. Ce fut le cas de Minecraft, véritable ovni du monde vidéoludique. On peut en citer plein d'autres : Dwarf fortress, Terraria, Binding of Isaac, Stardew valley, Project zomboid, Out there omega, Don't starve, Risk of rain... Je sépare grossièrement (et un peu arbitrairement) ces jeux en deux groupes : les rogue-like et les bacs à sable. Les rogue-like proposent d'explorer de manière très approfondie une ambiance et une mécanique spécifiques. Les bacs à sable proposent une grande liberté au joueur dans la création de ses propres objectifs et donc, finalement, de son propre jeu au sein du jeu. Je suis grand amateur des deux types de jeu.

Si l'on poursuit le parallèle avec le jeu vidéo, on peut imaginer l'émergence de deux types de JDR :

  • Des jeux "rogue-like", qui proposeraient d'expérimenter une situation ou une ambiance particulières, au travers de parties uniques ou "oneshot". Les mécaniques de jeu n'auraient pas vocation à gérer l'ensemble des situations possibles, seulement celles concernées ou souhaitées par le jeu. Elles seraient spécifiquement conçues pour mettre en exergue certaines problématiques, ambiances ou émotions. C'est ce que je tente de faire avec mon projet Supertension.
  • Des jeux "bac-à-sable", qui proposeraient aux joueurs de créer des parties dans lesquelles ils choisissent eux-mêmes leurs objectifs. Ces jeux peuvent être avec MJ, sans MJ, ou avec MJ "tournant", selon la manière dont on gère l'univers autour des joueurs. Comme on l'a vu, le maillage devient complexe à gérer dès lors qu'il est trop fin. Il faut donc envisager pour ces jeux une résolution d'action simplifiée, un maillage large. Si le maillage est simplifié, cela permet de mettre l'accent sur la création d'outils propres au bac à sable : génération du scénario, mise en place facilitée d'évènements intéressants à jouer, possibilité pour les joueurs de se créer leurs propres objectifs de jeu... C'est ce que je tente de faire avec un autre de mes projets, que je n'ai pas encore rendu public.

Dans la pratique, ces jeux existent déjà : Sombre de Johan Scipion, les jeux du Grümph, ceux des Ateliers imaginaires... Je trouve vraiment dommage que ces jeux ne se démocratisent pas, notamment dans un cadre commercial. Je n'ai pas une vision globale sur cette question ; en tout cas, les rôlistes que je rencontre jouent quasiment tous avec des scénarios-couloirs dans des jeux en monde ouvert.

Note : cet article ne se prétend pas un article de fond mais plutôt une réflexion personnelle. N'hésitez pas à me donner votre avis, je serai heureux d'approfondir ma compréhension du sujet grâce à vous.

2 commentaires :

  1. Salut et merci de ce partage.

    "les rôlistes que je rencontre jouent quasiment tous avec des scénarios-couloirs dans des jeux en monde ouvert".

    Idéalement, je propose à mes joueurs des mondes le plus ouvert possible qui ne dépendent pas QUE des joueurs pour évoluer. Pendant que les joueurs se sont absentés en mission, leur auberge point de chute a pu brûler dans une incendie et le Roi avec survécu de justesse à un assassinat sans qu'ils n'en aient en rien été acteurs ou provocateurs. Mais tout autant de pistes à explorer si les joueurs le souhaitent.

    Et c'est là que je veux mettre l'accent. Un scénario totalement bac à sable à la minecraft... je n'ai jamais vu ça tourner. Les joueurs s'ennuient vite et attendent du MJ qu'il les ré-implique dans une intrigue. Les "scénarios-couloirs dans des jeux en monde ouvert" ne me semblent pas être de vrais linéaires déguisés en faux bac à sable, suivre une PISTE est forcément plus linéaire car elle induit de focaliser son attention dessus. La réelle liberté du bac à sable, c'est de choisir quelles pistes choisir, voire même de se préoccuper ou pas de tel événement.

    Dans Minecraft, le jeu se termine lorsque le joueur s'ennuie ou vainc le dragon de l'Ender. Et oui, même ce symbole de la liberté a une fin dédiée et programmée depuis le début !

    RépondreSupprimer
  2. Salut Dark_Shape,

    Je pense que nous avons le même point de vue. Selon moi, la notion de bac à sable implique que le joueur se crée ses propres objectifs, ou du moins qu'il choisit les objectifs qu'il veut suivre. Cela n'implique pas qu'il doive maîtriser tout ce qui se passe dans le monde, ou bien que tout ce qui se passe dans le monde doive tourner autour de lui.

    Pour reprendre le parallèle avec le jeu vidéo, même s'il a ses limites, dans Minecraft le joueur ne décide pas où vont apparaître les monstres, il ne choisit pas la localisation des ruines, il ne peut pas savoir si les PNJ vont se faire dévorer par les zombies ou pas.

    Ce que tu prônes, à savoir que des évènements se déroulent dans le monde sans que les Personnages-Joueurs aient de prise dessus, parce qu'ils étaient absents par exemple, est de mon point de vue tout à fait souhaitable dans une partie de JDR, et totalement compatible avec le concept de bac-à-sable. Ce qui définit le bac-à-sable selon le sens que je lui donne, ce serait la capacité des PJ à influer sur la suite des évènements et à choisir la piste qu'ils décident de suivre. Y compris, à ignorer totalement ton scénario pour aller faire tout autre chose.

    Je comprends cependant ce que tu veux dire, et je suis d'accord avec toi qu'un bac-à-sable "absolu" ne peut pas exister en JDR. La narration (l'histoire racontée par les joueurs et le MJ et qui crée la fiction) en elle-même est forcément linéaire, parce que chacun parle chacun son tour en prenant en compte ce qui a été dit avant. Une non-linéarité totale ferait perdre toute cohérence au récit qui est la raison d'être du jeu de rôle. Là encore, on peut comparer JDR et jeu vidéo en constatant que tout bac-à-sable à ses limites, comme tu le fais si bien remarquer concernant Minecraft.

    RépondreSupprimer

Merci de votre participation. Je vous aime.