Chers lecteurs,
Aujourd'hui j'ai le plaisir de partager avec vous une petite nouvelle sur le thème de la nostalgie. J'espère que vous tirerez autant de plaisir à la lire que j'en ai eu à l'écrire. Vous pouvez également consulter ou télécharger ce texte en PDF pour un meilleur confort de lecture.
Un silence surréaliste planait sur la plaine encore chargée de brume matinale. Sur le chemin de terre mal entretenu, un être de fer et d'acier traversa le paysage, rompant le calme et réveillant brutalement la nature alentour. L'homme, caparaçonné de plates, son casque d'airain à visière vissé sur sa tête, l'étendard brandi bien haut pour afficher ses couleurs, avançait péniblement sous le poids de son armure. Point de monture pour le porter, mais la volonté qu'affichent ces héros dont la quête transcende tout, la fatigue, la douleur, la faim ou la soif. Le guerrier gravit en ahanant la pente qui menait en haut de la colline. Il parvint alors à l'entrée d'une grotte. Fichant sa bannière en terre, il poussa le hurlement de défi suivant, empreint de la noblesse qui caractérise les Braves : "Chale troll, chors de ton antre que ch'te coupe en morcheaux pour t'donner à bouffailler à mes chiens !"
Une silhouette de cauchemar émergea progressivement de l'obscurité de la caverne. Une créature immense, deux à trois fois la taille d'un homme, une peau squameuse à la manière des reptiles, de la même couleur que le roc. Des membres puissants, aux mains épaisses munies d'ongles griffus. Un visage taillé au marteau terminé par une gueule énorme et des dents longues, longues... Le troll déplia ses membres, rendus raides par l'attente, et lança un bâillement qui pouvait au besoin servir de rugissement. Le valeureux guerrier lui fonça dessus en moulinant de sa lame ébréchée. Le monstre ne chercha pas à l'éviter ; tandis que l'énergumène parvenait à portée, dans un cliquetis brinquebalant d'armure rouillée, la créature abattit son poing d'un geste précis né de l'habitude. La mâchoire de l'homme lui rentra dans les talons en un gargouillis sonore suivi d'un geyser de sang ; c'en fut fini du combat épique.
Le troll poussa un nouveau soupir, et une larme perla au coin de son oeil, qu'il effaça d'un revers de sa large paluche. Rien ne servait d'être nostalgique. Le passé était le passé. Il fallait vivre avec son temps. Avancer, continuer à tenir son rôle. Autant de slogans et de dictons qu'il s'était maintes et maintes fois serinés, mais qui ne suffisaient pas à lui redonner son allant d'antan. Les temps avaient changé, certes, et pas en bien...
Le troll se souvenait des combats épiques des temps anciens ; des princesses enlevées dans des châteaux en flammes, des combattants de tous les pays qui accouraient, dans l'espoir de sauver la damoiselle et d'obtenir sa main. Il se remémorait les luttes sanglantes, les duels meurtriers, suivant du doigt avec émotion le contour de telle marque laissée par tel chevalier, de telle cicatrice souvenir d'un combat mémorable. On savait se battre, dans le temps. On se bagarrait avec classe, avec astuce et puissance à la fois. On était capable de rivaliser d'adresse pour rendre ces joutes palpitantes. Et les princesses, de véritables dames au sang bleu et au goût de noisette ou de myrtille. Ca oui, les temps avaient changé !
Le troll retourna dans l'obscurité moite de sa tanière, tandis que le braillement de la princesse poursuivait sa mélopée sonore. Il n'avait pas eu le coeur de la tuer ; elle avait mauvais goût, et puis ses piaillements de désespoir faisaient passer le temps. Plongé dans ses regrets, le troll s'endormit, bercé par les hurlements aristocratiques. Il rêva d'autres temps, d'autres lieux, son visage éclairé d'un sourire apaisé.
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